Créer au temps des IA

Est-ce que j’ai peur que les IA créatives puissent faire disparaître mon métier ? Oui. Oui et non en fait. Oui car le nombre de clients qui va se tourner vers les IA pour leur facilité d’utilisation va croître et donc on peut craindre que le marché de l’illustration « humaine » rétrécisse. Parmi ces clients là, il y en a déjà beaucoup qui ne font pas appel à une illustratrice et achètent dans une banque d’images une image toute faite. L’illustration faite sur mesure ne correspond pas à leur besoin. Aujourd’hui les IA peuvent faire des illustrations sur mesure avec la même facilité qu’on va acheter une image dans une banque d’images. Cela va nécessairement convertir des clients qui jusqu’à présent avaient encore besoin d’une illustratrice.

Les IA vont donc probablement étendre le marché de l’illustration car elles vont en faciliter l’accès à de nombreuses personnes qui aujourd’hui n’y recourent pas ou peu et c’est heureux car, si l’écriture et la parole sont des moyens extrêmement précieux pour véhiculer des idées, elles contribuent à une forme d’élitisme intellectuel. Les images permettent d’élargir le cercle de réflexion que ce soit en accompagnement du discours, pour en faciliter l’accès, ou seules, pour réveiller différemment notre intérêt pour un sujet. Alors j’ai le sentiment que plus il y aura d’illustrations, plus nous progresserons collectivement vers une société plus « éveillée ».

L’extension du marché de l’illustration peut-il permettre d’étendre aussi le marché de l’illustration faite par un humain, à tout le moins le maintenir ? Ou bien faut-il craindre que ce dernier ne se réduise ? Personne n’a, je crois, de réponse à cette question. Et donc oui, j’ai un peu peur que les illustratrices en chair et en os soit moins demandées qu’hier et aujourd’hui.

Mais d’un autre côté, je suis confiante car acheter une illustration relève également très souvent d’une démarche globale qui consiste à travailler en équipe, échanger pour imaginer à plusieurs et, dans ce cadre, une illustratrice peut faire partie de l’équipe et y apporter ses idées. Selon moi échanger avec un autre être humain restera toujours une expérience chargée de sens irremplaçable. D’ailleurs, j’ai l’impression que le mal-être de nombreux travailleurs aujourd’hui trouve en grande partie sa source dans la réduction du sensible dans leur quotidien.

L’IA peut aussi intervenir au sein d’un travail d’équipe, mais la démarche n’est alors pas la même. Lorsqu’on travaille avec une IA, il n’y a pas de confusion possible avec le fait qu’elle s’apparente à un être humain : on peut lui poser mille fois une même question, en ajoutant différents paramètres à la question, jusqu’à ce qu’un résultat nous satisfasse, et l’IA ne se fatigue pas, ne vous fait pas part de ses humeurs. Il n’y a pas de doute sur le fait qu’on travaille avec une machine. Ce sont nous les humains qui projetons sur elles nos schémas de pensée et qui nous laissons confondre par les apparences parce que nous sommes sensibles, et que trop d’insensibilité ne nous est que difficilement concevable. C’est aussi que tout est fait pour que les apparences soient de mieux en mieux trompeuses. Espérons que de la régulation arrivera vite en la matière pour que des avertissements réguliers sur l’absence de conscience des IA soient diffusés au cours de leur utilisation.

En fin de compte, pour certains projets rapides, où il faudra deux-trois illustrations dans l’heure, où l’on anticipera que la patronne demandera dix fois de refaire parce qu’il manque quelque chose, on utilisera l’IA, comme un outil, comme une machine à produire de l’image. Ce seront les projets vite faits bien faits, comme on en fera des dizaines dans l’année, très vite oubliés. Et puis pour d’autres projets, où l’enjeu sera de taille, où on aura mis du sens et du cœur, où l’on se sentira impliqué en tant que personne, en tant qu’être humain, on voudra un autre être humain pour partager ça avec nous et on voudra une image chargée de sens. Et pour cela, le fait qu’elle ait été réalisée par un être humain comptera. Parce que ce projet comptera, on ne voudra pas voir en petit en bas de l’image « produit par l’IA n°X », on voudra qu’il y ait un nom de personne.

Et pourquoi ? “La lectrice s’en fiche, elle ne regarde pas en bas de l’image les petits caractères”. D’abord certaines lectrices ne s’en fichent pas, et c’est peut-être important pour vous de prendre soin de ce que vous souhaitez véhiculer à vos lectrices comme récit global, compte tenu de vos valeurs, de votre rapport à l’authenticité dans un monde où l’artificiel prend tant de place. Mais au-delà du souci de votre image vis-à-vis de votre public cible, ce sera important qu’il y ait un nom de personne en bas de l’image pour vous-même. Vos lectrices ne regarderont peut-être pas les petits caractères, mais vous, vous le saurez, vous saurez que l’image a une âme. Les IA n’ont pas de conscience, elles n’en auront jamais. Tout le travail d’un artiste, c’est de toucher du bout du doigt les âmes en mettant la sienne dans ses créations.

J’espère que mes peintures, aussi réalistes soient-elles, créent ce petit temps d’arrêt chez certains, ce petit temps qui fait se dire, je suis là, avec tous mes sens, je suis un être humain.

A bientôt.

PS : pour voir à quoi ressemblent mes peintures, c’est ici.

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