Un ami m’a récemment demandé ce que les arts martiaux m’apportaient le plus.
Je crois que, parlant d’aïkido, ce que la pratique régulière m’apporte le plus, c’est la connexion aux autres. Cela peut paraître paradoxal vu de l’extérieur car, comme dans beaucoup d’autres arts martiaux, ce qu’on observe c’est une frappe, une attaque et une technique de défense, d’immobilisation, ou de contre-attaque. Il serait légitime de se dire que la pratique régulière de ces situations d’antagonisme cultive l’opposition, la compétitivité, le souhait de vaincre, d’être supérieur.
C’est peut-être vrai dans d’autres arts martiaux, compte tenu notamment de leur caractère sportif avec compétition à la clé. Mais je ne les connais pas de l’intérieur et ne l’affirmerais pas. Par contre, je peux parler de l’aïkido et vous dire que c’est l’exact inverse qui se cultive sur le tatami.
Les techniques d’aïkido consistent notamment à faire perdre l’équilibre à un adversaire en mobilisant son centre de gravité. Elles peuvent être efficaces dans des combats où il s’agit de vaincre. Elles peuvent être destructrices si on le souhaite. Mais utiliser ces techniques dans un contexte d’adversité réelle et avec une personne qui ne connaît pas cette pratique, ce n’est pas faire de l’aïkido.
Dans un cours d’aïkido, nous ne sommes pas avec un adversaire, mais avec un partenaire, aïkidoka lui aussi. Tout le travail en aïkido est de se connecter au partenaire. Il nous donne une énergie, une direction, et on s’y connecte. On cherche à dévier cette énergie, en vue de projeter ou immobiliser celui qui joue le rôle de l’attaquant. Et parce que lui aussi est pratiquant d’aïkido, il accepte la déviation et poursuit le mouvement. Il reste connecté au cas où nous commettrions une erreur pour pouvoir à son tour reprendre la main et être celui qui dirige l’énergie qui nous relie tous les deux.
Beaucoup de spectateurs pensent que les combats d’aïkido sont chorégraphiés, parce que les pratiquants semblent en phase, parfaitement coordonnés. Ce n’est pas du tout le cas. Le fait est que des pratiquants expérimentés sont capables de réagir en une fraction de seconde à un changement de direction dans les mouvements. Ce dernier est souvent déclenché par des choses invisibles pour le public : un simple transfert d’appui dans le contact d’une main sur un bras, un léger décalage de pression des doigts sur un poignet, etc.
Les combats en aïkido seraient donc comme de la danse entre deux partenaires improvisant et suffisamment expérimentés pour savoir comment bouger sur une légère et invisible indication de l’autre ? Le rapprochement est en effet intéressant pour faire comprendre ce qui se passe sur le tatami. Mais il y a tout de même la dimension martiale qui change tout. L’aïkido est un art de la paix : les techniques visent à empêcher un attaquant de poursuivre ses desseins violents (par des immobilisations, projections) et non à le détruire (par des coups en retour et blessures). Cependant, contrairement à la danse, il n’y a pas de mansuétude : si le partenaire fait une erreur de placement, de direction, on ne le rattrape pas, on prend le dessus et il est projeté ou immobilisé.
Cette rigueur, cette exigence dans l’exécution, couplée à cette recherche de connexion font de la pratique de l’aïkido quelque chose de tout à fait à part. Lorsque a lieu la rencontre de la martialité et de la connexion avec un partenaire, il se produit un échange très particulier entre les deux personnes. Un mélange de confiance totale et d’intransigeance réciproque. Et il y a une vraie jubilation à sentir l’énergie circuler et passer de l’un à l’autre. A l’issue, en général on se sourit, on se regarde dans les yeux et on se remercie : chacun des deux sait qu’il s’est passé quelque chose.
Lorsque cette rencontre ne se produit pas, que la connexion est imparfaite, on sait simplement qu’on a encore beaucoup de travail à mener de part et d’autre pour y arriver. On recherche, on y va doucement, on est bienveillant. Il s’agit de consentement : on accepte le contact physique, on accepte de laisser l’autre manipuler notre corps pour travailler la technique. Il s’agit de générosité : on donne de quoi travailler à l’autre, on lui donne le plus de présence possible même si on n’arrive pas à être en phase pour qu’il puisse sentir vers quoi tendre. Et surtout il s’agit d’humilité : est-ce que c’est moi qui ne donne pas ce qu’il faut, est-ce que je suis vraiment à l’écoute, est-ce que je fais vraiment tout ce qu’il faut pour créer cette connexion ? Car il s’agit de la créer avec une personne souple ou raide, rapide ou lente, petite ou grande, forte ou menue, puissante ou légère. C’est pourquoi il ne peut y avoir de compétition en aïkido.
A la fin d’un cours, lorsque j’ai pratiqué avec de nombreuses personnes sur le tatami, le sentiment qui domine pour ma part c’est d’avoir eu un moment de partage. Sans doute similaire à ce que doivent éprouver ceux qui pratiquent des sports collectifs. Car oui, contrairement aux apparences, cet art martial crée un vrai collectif. S’y ajoute le sentiment particulier que le contact physique crée.
Aï pour Harmonie, Ki pour Energie, Do pour voie. En Aïkido, sur le tatami nous sommes tous des étudiants à la recherche de cette connexion avec l’autre, à la recherche de la mise en harmonie de nos énergies.
Je vous souhaite pour 2024 de la connexion aux autres, sous toutes ses formes, et beaucoup de plaisir individuel dans ce lien collectif.
A bientôt.
Lucile
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